Argumentaire

2023 marquera les 150 ans de la publication du premier Pèlerin (1873), premier titre de la centrale de la Bonne Presse, née en 1889, rebaptisée Bayard Presse en 1969.   

Le groupe a fait l’objet de nombreuses études en interne (Kokel 1957, Fruchart et al. 1983, Kubler 2010, Quinio et al. 2010, Pitette 2011), comme en externe. Régulièrement, il s’est ouvert au monde académique, notamment lors de précédentes commémorations. Pour l’anniversaire de 2023, son directoire a pris l’initiative de demander à une équipe d’universitaires d’étudier son histoire, et d’organiser un colloque qui donnera lieu à une publication collective.

Pour les chercheurs, cette demande qui s’accompagne d’un accès total aux archives, constitue un sujet de réflexion sur le rapport de l’entreprise à sa mémoire. Mais elle représente surtout une opportunité exceptionnelle pour analyser une trajectoire révélatrice des changements intervenus depuis un siècle et demi, dans les domaines sociaux, culturels, éducatifs, religieux et économiques, non seulement en France mais aussi dans les différents pays où le groupe est implanté. La dimension internationale précoce de l’entreprise (dont le premier titre lie activité de presse et pèlerinages, notamment en Terre sainte [Soetens C. 1982, Boutry 2003]) permet d’articuler approches nationales et transnationales. Le projet permet également de saisir le fonctionnement concret d’une organisation structurante à la fois pour le champ catholique et pour le champ de la presse et de l’édition.

Dans le cadre du colloque et du livre à venir, nous cherchons des contributions susceptibles de compléter et de renouveler les travaux existants.

Protagonistes

Concernant les protagonistes, les recherches sont déjà nombreuses sur les figures fondatrices : Emmanuel d’Alzon (Pitette 2021), Vincent de Paul Bailly (Sorlin 1967) et Paul Féron-Vrau (Beylard 1961). Jean Guiraud, rédacteur en chef de La Croix entre 1917 et 1939 a fait l’objet d’un livre collectif (Boudon 2014) et d’une monographie (Poncelet 2011). Son successeur indirect, le père Émile Gabel, qui a dirigé La Croix dans les années 1950, a suscité l’intérêt d’un historien (Fouilloux 1987), d’un journaliste (Kubler 2010), et d’un spécialiste des sciences de l’information et de la communication (Douyère 2011). Les souvenirs de plusieurs personnalités impliquées dans la direction de l’entreprise entre 1955 et 1985 (Roger Lavialle, Jean Gélamur, Claude Bourçois, Paul Charpentier, Emmanuel Brajon) ont été collectés, et analysés, par Charles Ehlinger (1996).

Cette polarisation sur les dirigeants contraste avec la rareté des études sur les prêtres-journalistes ou prêtres-éditeurs. Seuls Pierre L’Ermite, fidèle second du père Bailly, et le père Salvien, homme à tout faire à la rédaction de La Croix de 1896 à 1923, ont eu droit à des études spécifiques (Rémond et Poulat 1987). Une attention accrue à ces figures serait un moyen d’initier une histoire plus incarnée et plus sociale qui mettrait au jour les liens spécifiques et mouvants entre l’entreprise et son actionnaire unique, la congrégation des assomptionnistes (coll 2003, Blenner-Michel 2010). L’étude de l’imprimerie de la rue Bayard, qui a fonctionné entre 1881 et 1999, dans lequel les sœurs oblates de l’Assomption ont joué un rôle fondamental (notamment dans la formation et l’encadrement des apprentis) permettrait de repenser le rôle des femmes dans l’entreprise. Au-delà de ces exemples, ce sont les figures des travailleuses et travailleurs de l’ombre, mais aussi des rédactions qui restent à mettre en lumière.

Titres

Concernant les titres, c’est principalement La Croix qui a suscité l’intérêt des chercheurs. Au-delà de l’étude pionnière de Pierre Sorlin (1967), il faut citer les travaux d’Alain Fleury (1986) sur le positionnement de la rédaction face à l’ascension d’Hitler. Ces deux recherches ont fourni le soubassement du colloque de 1987, qui visait notamment à assumer la face sombre du passé du quotidien (Rémond et Poulat 1987). De nombreux mémoires de maîtrise et de master ont par ailleurs analysé la ligne éditoriale de La Croix sur différents enjeux :  la Russie révolutionnaire, l’Espagne républicaine, la crise autrichienne de 1938, le stalinisme, l’intégration européenne, la guerre de Vietnam, etc.

Sur le Pèlerin, titre pourtant fondateur, les recherches sont beaucoup plus embryonnaires (Deage 2005). L’utilisation pionnière des illustrations y a été étudié par Guillaume Doizy (2011) et par Isabelle Saint-Martin (2003), qui a raconté et analysé la conception, la réalisation et la diffusion exceptionnelle du Catéchisme en images du Pèlerin, produit entre 1884 et 1893, et réédité jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle en France et à l’étranger.

L’histoire de la presse senior (Notre temps…) est très peu abordée alors qu’elle occupe une place essentielle dans la stratégie de développement de l’entreprise au cours des années 1980 et 1990.

Au-delà de l’histoire interne des titres, et de leurs contenus, l’histoire des techniques (imprimerie, distribution…) reste très largement à écrire (Grasset 2003), alors même que l’un des fondateurs du groupe, Vincent de Paul Bailly, ancien télégraphiste, était passionné par les innovations technologiques, expérimentant par exemple les projections lumineuses dès 1895, l’année même de la naissance du cinéma. L’histoire des publics, encore balbutiante, peut constituer un angle d’approche privilégié pour aborder tant l’évolution du monde catholique que l’évolution de la jeunesse sur tout ou partie de la période. Elle peut également éclairer l’histoire des consommations individuelles et collectives des produits culturels.

Edition et presse jeunesse

C’est dans le champ de la recherche sur l’édition et la presse jeunesse que les travaux sur Bayard Presse ont été les plus nombreux ces dernières années. Michèle Piquard (2008) a retracé l’évolution de la place de ce secteur au sein du groupe des années 1960 au début des années 2000. Des études ont été consacrées au Noël (Marcoin 2008), à Bernadette (Lalouette 2014), à Pomme d’Api, lancé en 1966 (Garnier 2008). Cécile Boulaire (2018) a examiné, tant du point de vue du texte que des images, le poids des nouvelles ambitions pédagogiques post-mai 68 dans le lancement en 1971 du magazine Okapi, destiné aux 7-12 ans. Françoise Hache-Bissette (2013) a quant à elle retracé un moment crucial de l’histoire récente du groupe : le rachat en 2004 de Milan, qui a propulsé le groupe Bayard à la première place du marché de la presse jeunesse. Cinq magazines jeunesse des deux marques ont été analysés sous l’angle des représentations du masculin et du féminin (Cromer et al. 2009).

L'entreprise est désormais saisie non plus seulement par les historiens du religieux,  mais aussi, en tant qu’acteur clé de l’édition jeunesse, par les chercheurs en littérature et en sciences de l’information et de la communication. C’est tout à la fois un effet de l’évolution du paysage académique et une conséquence de la capacité de Bayard à s’adapter à son temps, parfois dans la douleur ou au prix de renoncements ou d’ambivalences.

Groupe

Malgré ces renouvellements, il y a encore peu de travaux qui permettent d’appréhender Bayard en tant que groupe. En réalité, seul le livre de Jacqueline et Philippe Godfrin sur la Bonne Presse (1965) cherche à donner une vision d’ensemble. L’histoire du fonctionnement interne de l’organisation, de sa gouvernance, de ses relations avec son environnement politique, économique et religieux (notamment avec la hiérarchie catholique) est à reprendre selon de nouvelles perspectives (sociologie des organisations, histoire des entreprises, sciences sociales des religions) et à mener sur l’ensemble de la période, notamment depuis les années 1950. Les processus de décision spécifiques à ce groupe (et notamment le poids respectif des religieux et des laïcs) mériteraient une analyse spécifique, par exemple à partir de l’étude des procès-verbaux des réunions des instances dirigeantes. Le développement international du groupe des origines à nos jours est à analyser selon les approches de l’histoire transnationale et de l’histoire globale. Il reste également à documenter le lien entre les différents domaines de l’entreprise, et à identifier les nombreuses circulations qui s’y jouent en termes de personnels, d’informations, de techniques.

L’objectif principal de ce colloque consiste à dépasser les monographies limitées dans le temps ou dédiées à un segment de l’entreprise, et de relier entre elles les approches disciplinaires et sous-disciplinaires, afin de pouvoir monter en généralité et proposer une vision d’ensemble d’une maison de presse catholique devenue un groupe éditorial transnational rattaché à une congrégation religieuse également transnationale (Holzer 2000). Il s’agit de pouvoir définir l’évolution de sa position dans un contexte éditorial globalisé et un monde catholique en pleine mutation.

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